(Article paru dans Les Carnets du Ventoux n°57 / octobre 2007)
Quand les rivières sont empoisonnées, va vers la source de la montagne
W.B.Yeats
C’est un paisible mandarin au sourire zen qui m’a reçu dans sa maison de Bedoin. Ecrivain, journaliste et fonctionnaire international cet observateur privilégié des soubresauts de notre planète a écouté,consulté et ausculté le monde durant un demi siècle mais s’est surtout souvenu. Dans ses livres et ses reportages sa grande objectivité, sa recherche de la vérité lui ont permis de rester libre. « Nos montagnes sont d’excellents belvédères pour regarder vivre le monde » a-t-on coutume de dire aux Carnets du Ventoux ; c’est sans doute la raison pour laquelle Jacques Danois a choisi Bedoin pour y vivre une retraite active.
Né à Bruxelles fin des années 20 , Jacques Danois fut grand reporter à radio Luxembourg de 1957 à 1969, dans une époque où l’évènement était la vedette et primait sur le journaliste.
En 1966 a Saïgon, suite à l’évènement relaté ci-après dans le chapitre « le déclic », il décide de se consacrer essentiellement au sort de l’enfant de la guerre négligé par tous les belligérants et devient à l’ONU directeur de l’information audiovisuelle de l’UNICEF de 1969 à 1987.A sa retraite il rejoint les rangs de l’AMADE, ONG fondée pour la protection de l’enfance dont il est l’actuel vice président.
Ecrivain, auteur de plus d’une trentaine d’ouvrages, essais, romans, poèmes, et même de délicieux contes venturois d’hier et d’aujourd’hui (1). Jacques Danois est également auteur de théâtre, après avoir été comédien dans sa jeunesse où il fut compagnon de scène de Michel Bouquet, François Perrier,…Sa dernière pièce « Jardin public », a été interprétée l’année dernière en Avignon dans le cadre du festival off et une version filmée a été tournée à Bedoin.
Témoin de tous les drames de la seconde moitié du XXe siècle il relate dans « Micro au poing » son dernier ouvrage dont des lectures d’extraits ont été réalisées ce printemps à la bibliothèque de Bedoin par le comédien Paul Anrieu, quarante ans de rencontres, 40 aventures terriblement humaines, avec toujours une imprévisible pirouette clôturant le reportage,comme la cerise sur le gâteau (2).
LE DECLIC
« A Saïgon, une chaude après-midi de 1966 je fais calmement la sieste au rythme d’un ventilateur secouant mollement la moustiquaire de mon lit. Une explosion se fait entendre (…) Dans l’encoignure de la porte d’un bar gît un petit garçon,mort.(…) Tout s’écroule en moi,que suis-je venu faire dans ce pays ? Interviewer des politiciens et des militaires ? Pourquoi ?Tout le monde ment et moi aussi, je le sais,les auditeurs le savent. Métier dérisoire que le mien. C’est cet enfant qui est le sujet principal de cette guerre, ces milliers d’orphelins, de blessés, d’abandonnés. Sur ce trottoir je jure de mettre mon micro et ma plume au service de leur cause.(…)
En même temps qu’un indéfinissable malaise taraude le fond de son être, Jacques Danois a fait son choix définitif et sa pensée est devenue une pensée en marche, Il se voudra dès lors essentiellement un aventurier au sens noble et oeuvrera toute sa vie afin que cette prise de conscience nous concerne tous.
ALTER EGO ET FRATERNITE DE CONSCIENCE
A New York Julian Beck et Judith Malina du « Living Théâtre » sont persuadés que cette guerre du Vietnam pouvait être arrêtée par une grève générale internationale et pacifiste. C’est dans cet état d’esprit que fin 67 ils sont invités à présenter leur happening « Paradise now » au festival off d’Avignon en 1968. Au cours de leur spectacle, s’y introduit un personnage qui s’affiche encore plus libertaire et plus pacifiste que le Living avec la fraternité en plus c’est Aguigui Mouna. Mouna qui devient Vauclusien à part entière durant la période du festival d’Avignon jusqu’au début des années 90 crapahutant dans le pays sur sa célèbre bicyclette à roue ovale, volontairement déjantée. (ndlr :aucun document à ce jour n’indique qu’il réalisa sa vélorution cyclodidacte sur le Ventoux). Et Jacques Danois de citer dans le petit livre amical qu’il lui a consacré (3):
« …c’est dans un café étudiant que Mouna a dû me parler pour la première fois de la Paix,un canon à la main,canon de rouge bien sûr. Rouges nous l’étions tous, de cœur pour certains, carte en poche pour d’autres… »).
Lorsque Jacques Danois fut confronté à la mort du petit garçon sur un trottoir de Saïgon il cite : « …sur un autre trottoir,à Paris ou ailleurs, Mouna crie et peste contre la guerre : Paix au Vietnam. Des policiers français l’emmènent avec aussi peu d’intérêt que celui des flics vietnamiens embarquent le corps exsangue du petit garçon saïgonnais. Ce jour-là,une fois de plus nous nous sommes rencontrés, Aguigui et moi… ». La présence fraternelle de Mouna n’a jamais quitté Jacques Danois car il était comme le souligne le dessinateur Peynet sur le dessin de couverture du livre de Jacques Danois : « Le meilleur de nous tous ».
TINTIN AU VENTOUX
« Trench-coat,Nagra en bandoulière et sourire mystérieux,il arrive de nulle part. Car il y a toujours comme un air de voyage sur son visage. Mais, à son retour, ce gentleman du grand reportage,élégant et discret, demeure obsédé par le regard des enfants qui souffrent. » Quelle justesse dans ce portrait de Jacques Danois décrit par Patrick Pesnot de France Inter.
Si un jour à Bedoin,vous croisez sa silhouette élégante au sourire énigmatique vous aurez rencontré l’un des plus grand reporter du siècle dernier à ne pas confondre avec le plus illustre de ses confrères.
Né à Bruxelles fin des années 20, Tintin fut grand reporter…..
NOTES
(1)Le Matou du Ventoux in Les Carnets du Ventoux n° 22, La Truffe d’Or in Les Carnets du Ventoux n°28, illustrés par Jean Marcellin ; ces deux contes sont repris dans son recueil Rizières, savanes et garrigues / Les Dossiers d’Aquitaine – 2006
(2) Micro au poing / Jacques Danois / Patrick Robin éditions – Paris 2006
(1€ par exemplaire au profit de Reporters sans frontières pour la liberté de la presse.)
(3)Aguigui / Jacques Danois / Les Dossiers d’Aquitaine 1991 / réédition 2007